À deux semaines de ses vingt-huit ans, ISSAM sort un premier album d’une profonde et riche musicalité : Crystal. Cinq ans après avoir démarré la musique en mixant lui-même ses morceaux, ISSAM est épaulé par l’ingénieur du son de Travis Scott, Jimmy « Cash » Passion, pour faire briller ses morceaux. Fusionnant influences raï, pop, rock, trap et musique électronique, ISSAM fait voyager sa musique et le darija bien au-delà des frontières du Royaume. À l’image du reste de la scène marocaine. Pourtant, alors qu’il avait été programmé pour jouer en concert à l’Institut du monde arabe en 2018, l’État français lui a refusé son visa… Une déception amère qui ne l’a pas empêché d’élargir son audience à travers le monde, de faire la couverture de GQ Middle East un an plus tard, puis de signer un gros contrat avec Island Def Jam par l’intermédiaire de Cilvaringz, rappeur affilié au Wu-Tang. Et sans avoir sorti un seul projet. Toujours dans l’intimité de son home studio, dans le quartier de Derb Sultan à Casablanca, il donne naissance à des mélodies captivantes. Attaché à sa famille qui le soutient, ses amis et sa culture, ISSAM ne cherche qu’à capturer des émotions et les transmettre avec sa voix d’une terrible douceur, teintée de spleen et d’une texture métallique.
Quand l’authentique devient fantastique
« Les premiers sons que j’ai écoutés c’était du raï, confie ISSAM. Mes parents écoutaient Cheb Khaled, Cheb Hasni, Cheb Mami. J’ai grandi avec cette musique et ces chanteurs-là. » Ces influences qui l’ont nourri, ISSAM les a naturellement intégrées à sa musique pour créer la « trap du bled » avec « Trap Beldi » (2018) : « Il y a des gens qui écoutent de la musique et l’analysent pour savoir comment faire, etc. Mais pour moi, c’était naturel et instinctif de m’inspirer d’autres musiciens pour créer mon style ».
Mais avant de vouloir transposer son monde en musique, ISSAM a commencé par le photographier : « Quand j’étais photographe, je partageais mes photos sur Flickr et il y avait pas mal de personnes qui appréciaient ce que je faisais. Plus tard, je me suis dit que la musique pouvait élargir ce que je voulais montrer de mes passions, de ma ville et de la culture marocaine. J’essaye de dégager des émotions du plus profond de moi et d’envoyer des messages à mon public » ayant un goût prononcé pour l’image, ISSAM s’est mis à réaliser ses propres clips aux côtés d’amis avec qui il partage la même vision : « On essaye de transposer les images qu’on a en tête en restant naturel, on veut pas trop en rajouter. On prend des images simples, qu’on a l’habitude de voir chaque jour. Et dessus on ajoute quelque chose qui sort de l’ordinaire en montrant notre identité et notre culture. » Un Maroc authentique couplé à une touche fantastique, comme dans le clip « Wra Tabi3a ».
Passionné par la mode, les visuels d’ISSAM dévoilent pléthores de tenues uniques et avant-gardistes façonnées par Artsi Ifrach, son ami et designer de la maison ARTC. Le même avec qui il s’était photographié dans d’incroyables vêtements qui lui ont valu d’être en couverture de GQ Middle East en 2019 : « On travaille ensemble depuis un moment, on a fait des clips. Je cherchais des profils d’artistes sur instagram qui fabriquent des vêtements avant-gardistes, plus que Gucci ou Louis Vuitton. Ces marques-là ont retourné l’esprit des gens : ils veulent acheter une marque, pas un vêtement. Mais aujourd’hui, tu peux fabriquer ce que tu veux dans la mode. C’est plus la marque, mais le vêtement qui importe. Artsi Ifrach aime mon monde et j’aime le sien, on s’entend bien. La mode, c’est comme la photo ou la musique. Ça finit jamais, tu peux toujours créer. Et artistiquement ou visuellement, ça permet de développer son image d’artiste. »
Peu importe la chanson pourvu qu’il y ait l’émotion
Évoluant au sein d’une scène Casaouie foisonnante et soudée, ISSAM est connecté à Snor, El Grande Toto ou Dollypran qu’on retrouve dans le clip de « Trap Beldi » : « C’est des potes. Dollypran, on était ensemble hier à écouter de la musique chez lui, parler, rigoler… C’est toujours bien de créer une vraie relation pour collaborer et développer d’autres choses ». Formé en autoproduction, c’est en s’entourant d’amis partageant le même univers, au moins aussi talentueux et passionné que lui, qu’ISSAM est parvenu à élever sa musique à un niveau si inspirant.
« Tout faire seul, c’est bien, car ça t’aide à apprendre beaucoup de choses. Apprendre le mix, etc. Mais ça te fait perdre du temps aussi. Si tu fais ta prod, tu t’enregistres et tu mixes ton track, ça va te prendre du temps. Et ça m’est arrivé plusieurs fois. Avant je faisais ça tout seul, mais en vérité tu perds beaucoup d’énergie. Mais c’est pas grave, c’est pour ce que tu aimes. Il y a des gens qui sont forts en mix ou en production, mais il faut qu’ils soient dans la même thématique que toi, le même style de son. »
Cependant, ISSAM a besoin de l’intimité de son home studio pour que sa direction artistique ne soit pas entravée : « Je me fais totalement confiance, mais c’est compliqué pour moi d’enregistrer avec du monde. À plusieurs en studio, il y a pas mal de jugements, ça change ma musique et mes idées. Donc je préfère enregistrer et décider seul. Je pars toujours d’émotions pour créer des mélodies qui peuvent toucher sans qu’on me comprenne. Je peux y passer des heures, à réessayer jusqu’à ce que ça sonne comme je l’imagine. »
Epaulé par son ami et manager Daox, ISSAM dépasse le cadre du rap. Lui-même se considère comme un artiste qui transmet des émotions en musique. Distributeur de mélodies vocales, il a le doigté pour mixer aux platines. Récemment, la DJ marocaine Glitter l’invitait sur Rinse : « J’ai commencé à faire des DJ sets, car je suis fan de musique électronique. J’adore digger des artistes pas très connus. La musique électronique et alternative, c’est comme un océan infini avec tellement de genres et de sous-genres… Mes artistes préférés en musique électronique sont Boards of Canada, Aphex Twin, Amnesia Scanner, Yves Tumor, Arca. Ils m’inspirent à mélanger électronique et rap, électronique et raï… »
Le rêve de Crystal
Pour délivrer le premier projet musical de sa carrière, ISSAM s’est entouré de son ami et manager Daox, (DJ/Producteur de musique électronique et fondateur du Moga festival) et de beatmakers avec qui il travaille quasiment depuis la première heure, Taemintekken, Adam K et Prince 85 : « On s’est rencontrés sur instagram, on s’est fait confiance et on a commencé à bosser ensemble. J’essaye de trouver des prods dans les packs qu’ils m’envoient. C’est rare de trouver un univers qui part dans le même sens que le tien, il faut choisir des bons producteurs, des bons potes avec qui tu peux travailler en symbiose ».
Partageant le même producteur que The Weeknd ou 21 Savage, Prince 85, ISSAM a également le même ingénieur du son que Travis Scott, Jimmy « Cash » Passion : « On s’est rencontrés sur un call. On a parlé, il a bien kiffé ma musique même s’il ne comprend rien. Je lui ai dit que j’avais un album à mixer et il nous a compris. Même au niveau du budget c’était pas trop cher pour nous. »
« Je m’inspire de mon quartier, des films, et surtout des rêves »
ISSAM
« Crystal, ça représente l’esprit, un univers fantastique qui nous rappelle des légendes des années 80 comme Prince ou David Bowie. Je veux que ça soit unique et universel. Tout le monde connaît le mot Crystal et sa valeur ».
Réalisée par Hamza Robati, la cover du projet reflète cette touche surnaturelle et rétro futuriste qui parcoure la musique d’ISSAM. Touchants et insaisissables, mystiques et aériens, ses morceaux accueillent de multiples influences (raï, pop, rock, musique électronique, trap, afro…) et sont guidés par une profonde mélancolie. À travers vingt morceaux, l’artiste Casaouie propage émotions et nostalgie jusque dans ses textes : « La moitié des thèmes est émotionnelle et dark. Par exemple, dans « Drakula », je parle de quelqu’un qui est trahi par la fille qu’il aime et se transforme en Drakula pour la tuer. Pour « Wchahm Jnah God », j’ai rêvé d’une femme,+ avec des ailes tatouées sur son dos. Alors je suis parti de cette image pour écrire un morceau un peu surréaliste et expérimental dans lequel je joue avec ma voix. Et j’ai aussi des morceaux plus légers comme « Hada Raï » ou « Basta Baila ». »
Du pop/rock dancefloor qui nous plonge dans les années 80, à l’afro solaire de Hada Raï, en passant par le châabi onirique de « Mya » ou la trap entrainante de « Wahjna Deep », ISSAM nous fait voyager dans un monde de cristal où les énergies sont liées et se complètent, sans se ressembler.
En à peine cinq ans de carrière, l’artiste est parvenu à développer un univers fantasmagorique et mélodieux grâce à une grande ouverture d’esprit. Ambitieuse, rafraîchissante et instinctive, sa musique sonne comme une évidence. Trouvant de l’écho auprès du public, des médias et des hitmakers, ISSAM dévoile un chef d’œuvre qui marie la culture marocaine aux sonorités électroniques, et confirme qu’il figure parmi les plus grands artistes du moment.
Crystal disponible sur toutes les plateformes.